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samedi 23 janvier 2016







"Je ne suis qu'un inutile"



Quand je suis allé acheter l’ouvrage, je ne me souvenais plus du titre précisément et je demandais « L’homme invisible ». Inconsciemment, mon cerveau avait fait l’amalgame entre l’inutilité et l’invisibilité. J’aurais pu demander « l’homme invincible » ou « L’homme indestructible »; mais non, c’est l’invisible qui m’est venu spontanément à l’esprit. Cela montre que, pour moi et je pense de nombreuses personnes, l’inutilité de l’individu entraîne son invisibilité. Dans certains cas, il pourra même avoir une visibilité mais les gens ne voudront pas les voir et leur conférera une invisibilité virtuelle. Exemple les SDF. Pierre-Noël Giraud d’ailleurs fait rejoindre les 2 concepts à la fin de son introduction : « L’homme inutile est une réalité encore très largement invisible pour l’économie et la politique »

Pour l’auteur la définition de l’homme inutile est celle de l’inutilité aux autres et à soi dans une vision économique. Je résume et caricature un peu (mais pas beaucoup) : l’homme inutile n’est pas un « bon consommateur » c’est-à-dire quelqu’un qui gagne assez d’argent pour alimenter l’économie. Tous les individus qui sont un « coût » pour les autres que cela soit par une aide publique ou privée sont des « inutiles » (Wauquiez sort de ce corps). Les working poor et tous ceux qui ne consomment pas assez sont des « inutiles ». Au passage j’ai découvert que j’en faisais partie.
Dans l’épisode 12 du Prisonnier il y a une scène ou un barbu vient se confesser en répétant « Je suis un inutile ». La version originale utilise « inadequate » donc inadapté. Là encore on peut penser que l’homme inutile n’est pas adapté au système en action. https://www.youtube.com/watch?v=Ged045qQxoY

Il faut noter que l’auteur attend le 5ème chapitre avant de donner sa définition. Le début de l’ouvrage n’est qu’un discours pro domo sur l’importance et l’utilité des économistes. Il fait souvent un parallèle avec la physique et, à mon sens, il devrait la laisser là où elle est. De même pour les mathématiques quand il parle d’évolution qui n’est pas linéaire confondant la linéarité qui est existante puisqu’il manipule des données à caractère continu dans le temps et le fait que la forme de la courbe est chaotique.

Il pose rapidement un cadre analytique et conclu que toutes les théories économiques se basent sur certains éléments dont la rationalité du consommateur. Et c’est là que commence nos désaccords. Toute personne qui a travaillé dans le marketing, la publicité ou la communication sait que les consommateurs achètent un produit puis rationalisent leur achat ensuite. J’avais, dans une première vie professionnelle, résumé cela sous le nom de « paradoxe de l’implication » : plus un achat est impliquant (c’est-à-dire important en terme budgétaire ou choix financier comme l’achat d’une maison), plus les ressorts du choix sont irrationnels.
Si le consommateur est un être purement rationnel il n’existerait pas de phénomène de surendettement.

Des éléments que l’on entend beaucoup de nos jours et qui tendent à devenir des classiques : on ne connaîtra pas de pénurie de pétrole et l’humain est tellement intelligent qu’il sera capable de venir à bout de tout problème. C’est là qu’il devrait faire un petit peu plus de physique plutôt que de s’y référer. Nous sommes dans un monde fini, l’énergie à notre disposition n’est pas extensible et il n’existe pas d’énergie véritablement renouvelable.  Pressurer le citron atteint ses limites quand il ne reste plus que l’écorce. Les propos sont renforcés quand un peu plus loin il y a un chapitre sur l’illusion de la croissance verte.

Enfin, l’auteur décrit le futur du travailleur comme une suite de CDD avec des changements de statuts par passage de l’état salarié en auto entrepreneur puis retour au salariat avec des plages de congé sabbatique choisie. Bien entendu, par ce biais, il entend que tout le monde va devenir membre de l’élite mondialiste qui fait un métier intellectuel qui lui rapporte suffisamment pour vivre cette belle utopie. C’est ce qui d’ailleurs est décrit par Christophe Guilluy dans son livre « La France périphérique » où les élites recommande la mobilité car ils sont eux-mêmes mobiles sans s’apercevoir que pour le vulgum pecus il est très difficile de bouger. J’ai entendu ce type de propos sur France Inter par Benoit Thieulin qui décrivait aussi un futur fait de changement de statut. Le problème est, qu’en dehors de l’oligarchie néolibérale, l’homme « normal » a besoin de stabilité pour ne serait-ce que faire des projets à moyen ou long terme et que ce n’est pas en mettant en place une instabilité (qu’on peut définir aussi comme précarité) permanente que l’on va sortir les gens des trappes d’inutilité. Comme le veut l’adage « On a toujours assez de courage pour supporter la douleur des autres ».

Pour conclusion, on peut se demander si un tel livre est utile, que sa lecture elle-même a une utilité et que le choix d’acheter ce livre a été utile et pertinent en tant que consommateur rationneL.

L’homme inutile vous salue .