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mardi 1 mars 2016




Le travail, c'est la santé



Dans la cacophonie actuelle, la propagande de la classe supérieure et le mélange des signifiants, il est bon d’essayer de se repérer au travers d’écrits dont les auteurs sont manifestement d’une intelligence supérieure. Je vais donc parler aujourd’hui d’une de ces figures qui éclairent la réflexion d’un siècle : Bertrand Russell.

Je connaissais Russell comme le mathématicien et logicien. C’est lui qui a notamment énoncé ce qu’on appelle le Paradoxe de Russell : l ‘ensemble des ensembles n’appartenant pas eux-même appartient-il à lui-même? Cela était très important dans la définition de l’infini en acte par Cantor.
Ce paradoxe est plus connu du grand public sous le nom du Paradoxe du barbier : le barbier ne rase que ceux qui ne se rasent pas eux-mêmes. Qui rase le barbier?

Au-delà de son activité scientifique, Russell était un philosophe de première ordre qui obtiendra le prix Nobel de littérature en 1950. Toutefois, ce qui m’intéresse aujourd’hui est un petit livre peu connu paru en 1932: « L’éloge de l’oisiveté ».

En résumé :
- la « valeur travail » est utilisée par la classe privilégiée qui soupçonne les classes pauvres de tomber dans l’oisiveté et la dépravation si elles ne travaillent pas et qui est une forme d’oppression
- la production industrielle est suffisante pour nourrir l’humanité.

En faisant un zoom plus important, je m’arrêterai sur l’allégorie de la fabrique d’épingles.
La première version vient du dieu des néolibéraux, Adam Smith  qui, dans « Richesse des nations »  fait éloge de la division du travail qui permet de produire plus avec moins de personnes en utilisant l’exemple d’une fabrique d’épingles

La version de Bertrand Russel est différente :
« Prenons un exemple. Supposons qu’à un moment donné, un certain nombre de personnes sont embauchées dans une manufacture d’épingles. Elles font autant d’épingles qu’il en faut dans le monde entier, en travaillant, disons, huit heures par jour. Quelqu’un met au point un moyen de faire deux fois plus d’épingles avec le même nombre d’hommes. Mais les épingles sont déjà si bon marché que l’on pourrait difficilement en baisser le prix. Dans un monde sensé, toute personne impliquée dans la fabrication d’épingles choisirait de travailler quatre heures au lieu de huit, et tout irait comme avant. Mais dans le monde réel, cela serait perçu comme démoralisant pour les travailleurs. Les hommes travaillent donc toujours huit heures, il y a trop d’épingles, des employeurs font faillite, et la moitié des ouvriers perdent leur emploi. Au bout du compte, la quantité totale de loisir dans ce cas est la même que dans l’autre, sauf que la moitié des hommes sont complètement oisifs, tandis que les autres sont encore surchargés de travail. Dans cette perspective, il est certain que ce loisir subi sera partout cause de misère au lieu d’être une source de bonheur universelle. Que peut-on imaginer de plus absurde ? «

Précision.
Lors d'un diner avec un chef d'entreprise de PME, à la question "Bien évidemment les gens sont payés moitié moins cher?" j'ai bêtement répondu "oui". Au contraire, bien évidemment les ouvriers gardent le même salaire PUISQUE le chiffre d'affaire ne change pas et il n'y a aucune raison de changer les prix. Ma réponse automatique montre que le venin de la logique néolibérale est bien ancrée dans notre réflexion. Et le système est logique lorsqu'il garde les 8h00 car l'idée est, si on ajuste le salaire au temps de travail de 4H on va avoir un gain de productivité que l'on fera bénéficier en partie au consommateur par une légère baisse des prix et, se faisant, augmentant la marge donc les profits.

On ne peut s’empêcher de remarquer le parallèle entre ce qui est relaté ici et la situation des agriculteurs français. Face à une surproduction basée sur une concurrence déloyale, la réponse des politiques et néolibéraux : « vous êtes trop petits et vous devez produire plus pour baisser vos coûts  de revient ». Voilà une assertion qui ne peut que faire rire une personne ayant un minimum de réflexion logique mais qui mène les agriculteurs au désespoir. Au passage, les normes, sous couvert de protection des consommateurs ou de la nature, n’existent que pour protéger les gros et éliminer les petits. Exemple : les fromages au lait cru que l’industrie a essayé de faire disparaitre car soit disant dangereux pour la santé alors que les cas de listérioses n’apparaissent que dans l’industrie du pasteurisé. A mon avis, il va y avoir des normes bientôt sur le bio pour empêcher le développement de cette agriculture et à permettre Monsanto à vendre ses pesticides.

Il reste que cette allégorie donne un coup de projecteur sur ce qui se passe actuellement et de la nécessité de repenser les bases de l’organisation de la société ou, comme on dit de nos jours, « changer de logiciel ». Ce qui est intéressant c’est que ce texte date de 1932 et est toujours d’actualité n’en déplaise à notre licencié en histoire de Premier Ministre.

A ce propos, je vais donner un petit cours d’arithmétique du niveau 5ème à icelui pour montrer de façon simple que certaines mesures du projet de loi El Khomri ne créeront aucun emploi, bien au contraire.

Prenons les heures supplémentaires qui passeraient (après accord d’entreprise - mort de rire-) de 25% à 10%.
Imaginons une entreprise dont les salariés sont payés 10€/h.
Une semaine de 35 h coûte 350€
Le coût d’une heure supplémentaire à 25% = 1,25€
Si on divise le coût semaine par le coût heure supplémentaire : 350/12,5= 28 . Cela veut dire qu’à partir de 28h supplémentaires il devient intéressant d’embaucher une personne car on payerait alors le même montant (350) mais pour quelqu’un travaillant 35h.
On fait la même opération avec un surcoût de 10% : 350/11= 32 . On est proche d’un plein temps et donc le surcoût est dans les 3h manquantes qui ne vont pas inciter à embaucher quelqu’un.
C’est un raisonnement simpliste mais que nos intelligences supérieures (du moins qui le croient) n’ont pas été capables de faire.

Pour conclure sur l’allégorie de la fabrique d’épingles; dire que les gens ne travaillent pas assez est un non sens illogique qui ne produit au final que de la misère. Il n’est même pas sûr que ceux qui profèrent cette énormité n’aient jamais lu Russel où même un livre qui ne parle pas de finance.
J’ai l’habitude d’écrire que le monde est aujourd’hui divisé en hors-crise et dans-la-crise. Ce n’est pas nouveau comme analyse :
"La société est composée de deux grandes classes : ceux qui ont plus de dîners que d’appétit, et ceux qui ont plus d’appétit que de dîners."
Sébastien-Roch-Nicolas, dit CHAMFORT (1741-1794)
Comme quoi, tous ceux qui disent qu’ils sont dans la modernité ne font que reproduire les mêmes causes pour les mêmes conséquences.

Samedi émission "Permis de penser" sur France Inter http://www.franceinter.fr/player/reecouter?play=1244935
Antoine Lyon-Caen : "Cette loi est comme si, pour donner des cheveux à des chauves, on rase tous ceux qui ont des cheveux"

Bertrand Russel: https://fr.wikipedia.org/wiki/Bertrand_Russell
L’éloge de l’oisiveté: https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89loge_de_l'oisivet%C3%A9
Texte entier : https://parachrematistique.wordpress.com/2013/03/20/eloge-de-loisivete-par-bertrand-russell-24/

Fabrique d’épingle  Adam Smith : http://antisophiste.blogspot.fr/2013/03/adam-smith-et-la-manufacture-depingles.html