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dimanche 29 mai 2016


 

Le temps des sophistes est revenu


Il y a plusieurs façons de vivre les évènements qui nous entourent. La première est de simplement subir en regardant les informations à la télé et passant rapidement à #theVoice ou #CDOJ. C’est confortable et cela ne demande pas beaucoup d’énergie. La seconde est de participer aux évènements en en étant un acteur comme participant à #nuitdebout ou en manifestant contre la loi El Khomery. Ce n’est souvent pas confortable et cela demande beaucoup d’énergie surtout physique.

Il y a une troisième voie qui est celle de la réflexion pour essayer de comprendre ce qui se passe, avoir une vue d’ensemble et prévoir, trouver la meilleure solution à une problématique et chercher à la faire partager. Paradoxalement, c’est la voie qui va demander le plus d’effort intellectuel car c’est la plus compliquée. Comme l'a écrit Oswald Wirth "Ne pas penser, c'est consentir à être dominé, conduit, dirigé et traité trop souvent en bête de somme".
Or, suivant le principe de moindre action, l’humain préfère le confort du conformisme intellectuel que de s’interroger sur le monde qui l’entoure. Comme le dit Charles Peguy « Il y a quelque chose de pire que d'avoir une mauvaise pensée. C'est d'avoir une pensée toute faite. « 
J’ai dû déjà écrire qu’un de mes films préférés de Woody Allen est « Whatever works ». Le personnage principal est le seul à savoir qu’il est dans un film et qu’il y a des spectateurs qui le regardent. Il est aussi le seul à avoir la « big picture » c’est-à-dire une vision globale de ce qu’est l’humanité et la société.

Dans ce registre, pour moi, aujourd’hui, nous sommes revenus au temps des sophistes.
« Le sophisme ne constitue pas une école de pensée, mais un modèle de raisonnement basé essentiellement sur l'éloquence afin de séduire la masse et ce dans le but d'œuvrer pour le bien d'une minorité ou de faire passer un message qui ne correspond pas à la réalité (intentionnellement ou non) «
A la lecture de cette définition, on peut voir que l’on y est. On parle plus facilement des « éléments de langage » que du fond des actions des politiques. Le discours n’existe plus que pour se positionner sur un sujet et, à l’instar de la novlangue, l’action est souvent complètement déconnectée de la réalité. La dernière illustration est la position du gouvernement socialiste en apparence contre le TAFTA et, notamment, les tribunaux d’exceptions où une multinationale pourrait attaquer une décision d’un état, et l’action des représentants français au niveau de l’Europe pour en créer. Il est à noter qu’ils ne sont pas à leur coup d’essai car ils ont fait le coup pour l’instauration d’une taxe sur les transactions financières où, en France, ils dirent être pour et firent tout pour la torpiller à l’Europe.
Suivant les préceptes de Protagoras, leader des sophistes et auteur de la maxime « À chacun sa vérité « , les politiques pensent que le discours fait l’être et que n’importe quel discours peut donner une existence à un être. L’action et la chose n’ont plus raison d’être en dehors du discours puisque « l'homme est la mesure de toutes choses » . D’où la guerre des égos et la multiplications des candidats qui rivalisent de médiocrité. En revanche, ils ont dû lire « L’art d’avoir toujours raison » de Schopenhauer qui explique ce qu’on appelle la dialectique éristique qui est l’art de l’emporter sur l’adversaire en s’intéressant plus au discours qu’à la réalité.
La caricature reste les économistes et notamment le « Nobel » d’économie qui explique que ce qu’il dit ce n’est pas lui mais la science. Ce qu’il oublie c’est que la base de la science c’est son caractère réfutable. Donc, dans la mesure où il explique que ces propos sont irréfutables, il explique en fait que l’économie n’est pas une science mais une pseudo-science à l’instar de l’astrologie. Il est ironique que c’est le très libéral Frédéric Bastiat (1801-1850) qui a inventé le terme de « sophisme économique » .  A relire ne serait-ce que pour retrouver les arguments des économistes « modernes » actuels sur la nécessité de supprimer la Sécurité Sociale.

Les sophistes ne se contentent pas d’avoir de beaux discours mais ils utilisent à foison les sophismes. Voyons en quelques uns :
- argumentum ad hominem : à bout d’arguments, on attaque son adversaire sur sa personne sans rapport avec l’objet « vous, amoureux des dictatures populaires sud-américaines, …. »
- argumentum ad sequentiam : « si vous ne votez pas pour un candidat socialiste cela sera encore pire »
- argumentum ad populum : c’est « la majorité a toujours raison »
- reductio ad hitlerum : « Mélenchon utilise les mêmes arguments que Marine Le Pen »
- ….
On pourrait multiplier les exemples à l’infini.

Tout ce qui précède illustre la remarque entendu souvent « ils sont coupés de la réalité ». C’est normal puisque le discours a remplacé la réalité.

Peut-on combattre les sophistes ? La réponse est oui si on suit les préceptes de Socrate.
On n’a généralement retenu du philosophe que sa mort où il a bu la cigüe. Bien que son procès portait sur un athéisme supposé, il est certain que c’est sa méthode permettant de démasquer les impostures derrière les discours qui est la vrai origine de sa condamnation à mort. Pour l’utiliser souvent, j’ai pu assister à des explosions de colères de contradicteurs mis devant leurs contradictions et littéralement mis à nu. L’humain déteste que l’on devine ses vrais motivations. 
Il est à noter que les sophistes faisaient payer très cher l’enseignement de leur art alors que Socrate enseignait quasiment gratuitement ce qui aggravait son cas. Schopenhauer écrit d’ailleurs que la dialectique éristique n’existe que parce qu’il y a de la malhonnêteté, de la vanité, l’obstination dans l’erreur. Cela ne vous dit rien ?
La base de la méthode est la réfutation en utilisant l’ironie socratique. Cela consiste à poser des questions pour faire émerger l’aporie c’est-à-dire l’impossibilité de donner une réponse dans un sens ou dans un autre. On laisse son interlocuteur exprimer sa thèse de laquelle on va établir des prémisses. On va utiliser ces prémisses pour montrer qu’elles conduisent à une thèse contraire à celle exprimée au premier chef. Donc on montre que le raisonnement apparemment juste comporte en lui-même sa propre contradiction. Dans le cas des politiques ou des « gens importants », c’est insupportable.  D’autant plus que les discours sont, normalement, porteurs de valeurs donc, si le raisonnement est biaisé on peut légitimement se poser la question de savoir si l’orateur est sincère ou pas.

Je suis pour l'introspection individuelle à l'instar de la libre pensée où l'on doit constamment s'interroger sur ses raisonnements afin de vérifier s'ils sont en accord avec ses valeurs. « Platon pour Socrate  « Celui qui sait ce qui est bien fera aussi le bien » : pour lui une vision juste conduit à une action juste. Agissent mal ceux qui sont dans l’erreur. La faculté de discerner entre le bien et le mal se trouve dans la raison de l’homme, et non dans la société comme le pensent les sophistes."

Le problème est qu’utiliser la méthode socratique demande un peu de temps et beaucoup d’énergie intellectuelle. Il faut accepter de « perdre » du temps sur le temps télé. Mais c’est le seul moyen de ne pas être dupe de ce qui nous entoure et surtout d’un discours au service des intérêts de la classe dominante.

Addendum 1/8/2016
Sur le sujet, on peut citer Jean-Jacques Rousseau qui pensait que l'homme était bon naturellement et que c'est la société qui pervertit l'homme. De même Hannah Arendt affirme que le Mal provient de l'absence de réflexion et donc la bêtise mais que l'homme est bon de base. Autant sur la première assertion, je suis tout à fait d'accord, autant sur l'homme bon dans le fond je suis en opposition. En effet, ne pas réfléchir, c'est ne pas dépenser de l'énergie sachant que le cerveau est le plus gros consommateur d'énergie du corps humain. Donc, suivant le principe de moindre action de Maupertuis, la tendance naturelle de l'homme est donc de penser au minimum donc à être mauvais. Ce n'est pas un hasard s'il ne suffit que de supprimer des règles à suivre pour voir apparaître les pires bassesses que cela soit dans la sphère économique ou sociétale. C'est pourquoi aussi que la plus grande partie de l'humanité a besoin d'idéologie (religieuse, politique, économique, ...) pour ne pas avoir à penser par elle-même.  J'ai déjà dû écrire dans un précédent article, que les "valeurs de gauche" demandait plus de réflexion que les "valeurs de droite" ce qui explique la tendance naturelle des peuples à pencher à droite.   Quand Socrate dit  « Celui qui sait ce qui est bien...". Le "sait" se rapporte non pas à la simple connaissance ("je sais que cela existe", "je connais la loi") mais au savoir c'est-à-dire l'intégration de la connaissance en ressort de la pensée et de l'action. C'est pourquoi cela demande un travail sans relâche demandant beaucoup d'énergie.


Pour aller plus loin

https://fr.wikipedia.org/wiki/Aporie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Protagoras
https://fr.wikipedia.org/wiki/Sophisme
https://fr.wikipedia.org/wiki/Socrate
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Dialectique_%C3%A9ristique
http://www.systerofnight.net/religion/html/platon.html